Une volonté erronée d'abréger la souffrance.

24/10/2014 11:04

Dans la presse calédonienne d'octobre 2014, nous pouvons lire « La Calédonie compte en moyenne une trentaine de suicides par an. L'acte de se donner la mort est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes en Calédonie, derrière les accidents de la route. »

Je livre ici mon point de vue sur ce vaste sujet, pour ouvrir une porte à la discussion. Mais les meilleures des paroles véritablement partagées, ce sont celles qui sont échangées dans le foyer familial. Si elles sont rassurantes, nul doute qu'elles seront fortifiantes. 

Une souffrance.

Derrière le suicide, il y a toujours une souffrance. L'individu qui se suicide ne le fait pas par volonté de mourir mais simplement parce qu'il ne veut plus souffrir.

La souffrance s'exprime dans diverses occasions de la vie quotidienne : Violence, harcèlement moral,  isolement, perdre ce à quoi l'on s'attache(emploi, amour, parent, ami, idéal, santé, identité personnelle, dignité, amour-propre, etc.)

Il est important de savoir que nul n'est à l'abri du suicide même si des études démontrent que les personnes qui se sont suicidées souffraient plus souvent que la population en général d'un trouble mental (dépression, trouble d'abus et de dépendances aux substances, trouble de personnalité, etc.). C'est l'interaction complexe de plusieurs facteurs qui peut mener une personne à poser un geste suicidaire

Perte des repères.

Pourquoi y a-t-il plus de jeunes qui se suicident aujourd'hui qu'il y a une vingtaine d'années, en Nouvelle-Calédonie ?

Question pertinente, notamment lorsqu'il s'agit des jeunes océaniens et particulièrement kanak. Et l'on se demande, en plus, si ce n'est pas qu'une impression du fait qu'aujourd'hui les cas de suicide sont répertoriés plus soigneusement qu'il y a une décennie.

Toujours est-il que la question liée à la perte des repères est très souvent avancée pour expliquer l'une des causes des passages à l'acte.

Ainsi, l'on ne comprend pas pour quelles raisons les jeunes se suicident alors qu'ils vivent avec des adultes, frères ou sœurs aînés, avec lesquels ils ont plus d'intimité pour se confier et partager les problèmes rencontrés dans la vie.

Mais les repères qui étaient respectés, il y a longtemps déjà, ne le sont plus aujourd'hui. Les aînés, le chef, le pasteur, le prêtre, le médecin, l'enseignant, le soignant, etc, ces adultes qui auraient pu constituer un univers de références identitaires pour les jeunes sont aujourd'hui défiés et démystifiés par la jeunesse.

Les repères se perdent. Difficile pour un jeune de se construire sur le modèle d'un père ou / et d'une mère alcoolique, absent(e), violent(e) ; sur celui d'un(e) enseignant(e) ou d'un(e) soignant(e) dépendant(e) au cannabis, au kava ou à l'alcool ; sur celui d'un pasteur ou d'un prêtre abdicataire.

La carence de modèles pour la jeunesse dans la société calédonienne est relayée par une offre aussi absurde qu'incongru de modèles télévisuels proposés par TVNC1ère, genre « Amour gloire et beauté » où les scènes de tromperie, d'adultère, de suicide, de violence, etc font écho dans la personnalité des jeunes téléspectateurs.

 Manque de communication.

On fini toujours par dire que la raison pour laquelle un individu se suicide, c'est parce qu'il n'y pas de communication. Et l'on s'étonne qu'avec les nouvelles technologies d'information et de communication facilement disponibles entre leurs mains personnellement ou dans les espaces dédiés (maison de quartier, maison commune, centre de documentation et d'information, etc), les jeunes suicidaires sont ceux qui manqueraient de communication.

Loin de là, ils communiquent à travers les réseaux sociaux mais de façon isolée, car ils sont seuls devant un écran cathodique et consacrent beaucoup de temps et d'énergie à communiquer avec l'extérieur. On est alors tenté de se demander si les réseaux sociaux sur internet ne sont pas en train de tuer la communication avec l'entourage immédiatement proche. Surtout que face aux harcèlements, aux dénigrements, aux accusations gratuites d'amis anonymes, une jeune personnalité peut se retrouver complètement démunie sans la présence de réel soutien.

Mais ce n'est pas une raison de diaboliser les réseaux sociaux. Le tout, c'est qu'il y ait une réelle éducation vis-à-vis des jeunes dans le cadre de la prévention. Qu'ils sachent situer les limites de l'emploi qu'ils peuvent en faire tout en sachant adopter comme déontologie le respect de la personne.

Il n'est pourtant un secret pour personne de savoir que l'entourage et plus particulièrement la famille immédiate joue un rôle prépondérante dans la prévention des passages à l'acte chez les jeunes.

De nombreuses études indiquent que les jeunes suicidaires ainsi que leurs parents perçoivent que la relation familiale est moins agréable, qu'ils vivent un niveau de fonctionnement familial pauvre, et qu'ils ont une perception négative de la relation familiale.

Les parents n'ont plus de temps à consacrer à leurs enfants qui, eux, sont le plus souvent devant la télé ou sur le net alors que les premiers sont occupés au bingo, au casino ou au kava. C'est une situation qui s'avère dangereuse, car elle mène à une destruction individuelle, familiale et... sociale.

Le dialogue au sein de la famille, surtout entre parents et enfants, est, aujourd'hui, un grand défi. Le manque de dialogue ou le dialogue paradoxal (fait ce que je dis mais pas ce que je fais) mène à une relation instable et décousue entre les membres de la famille, anéantissant confiance, appréciation, respect, partage, entre autres.

Une bonne communication au sein de la famille (en évitant de crier) permet aux enfants de s'exprimer, de partager leurs joies, leurs peines et leurs craintes. Les parents sont les meilleurs conseillers.
Faute de dialogue avec leurs parents, les enfants ont tendance à se confier à des amis de classe ou de rue, qui ne leur donneront pas toujours de bons conseils. De telles situations peuvent mener à des frustrations, de la tristesse et des situations irréparables...voire des fugues ou des suicides.

Banalisation du suicide.

Le suicide est un sujet tabou et dérangeant dont on parle difficilement. Pourtant, c'est en parlant du suicide que l'on peut démythifier ce sujet et parvenir à aider une personne suicidaire.
Demander directement si une personne songe au suicide, ce n'est pas lui suggérer l'idée, mais lui ouvrir la porte à l'expression de sa souffrance. Parler du suicide, oui, mais pas n'importe comment ! On doit éviter de banaliser le sujet, de mettre au défi une personne de se suicider ou de louanger quelqu'un qui s'est suicidé en qualifiant son geste d'héroïque. Il faut aussi faire attention à la médiatisation entourant le suicide, qui peut créer un effet d'entraînement.

Il y aura toujours une lueur d'espoir.

Il y a toujours au fond de chacun une lueur d'espoir. La  mort n'ouvre aucunement une porte vers le paradis. Le paradis n'est qu'une construction de l'esprit, ça n'existe pas. Et si il existait vraiment, c'est sur terre qu'on doit le trouver. Il n'y a que la vie sur terre qui fait partie de la réalité. Car, après la mort, il n'y a plus rien, il n'y pas de vie dans l'au-delà. Si le suicide est un moyen pour abréger une souffrance, la volonté qui le soustend est fausse, erronée et sans fondement. Une souffrance s'écoute, encore faut-il pouvoir arriver à en parler et en parler constitue déjà une lueur d'espoir pour préserver la vie.

  Points d'écoute, numéro vert gratuit SOS écoute : 05 30 30.

HELLOA Jean-Paul

Octobre 2014.