L’école calédonienne en quête identitaire

27/10/2014 22:22

Je publie ici un article, rédigé il y a déjà une dizaine d'années et qui me semble encore être d'actualité, sur ma conceptionn de l'école dans un pays colonisé comme la Nouvelle-Calédonie. J'ai la forte conviction que pour permettre une réelle transformation sociale, il faut poser les bases de cette transformation à travers les changements que l'on doit nécessairement faire de notre école: une école véritablement calédonienne.

 

Sommaire

Introduction : réalité de l’école calédonienne à la lumière des statistiques. 

I. Héritage historique et culturel de l’école calédonienne.

II. Place des différences culturelles dans l’école. 

III. Le système éducatif actuel. 

IV. Pour une école au service de l’homme, acteur d’un développement durable pour un pays en devenir. 

Conclusion : Penser le développement au profit du citoyen du pays, c’est penser le système éducatif comme outil vectoriel de formation et d’éducation du citoyen. 

 

 

Introduction : réalité de l’école calédonienne à la lumière des statistiques.

 

La réalité des faits qu’ils soient sociaux, économiques, politiques, psychologiques est le plus souvent mieux exprimée par les chiffres. Cela est vrai pour ce qui concerne la réussite et l’échec aux examens. En Nouvelle-Calédonie, depuis plusieurs années le service des examens du vice-rectorat ne publie plus de statistique par ethnie et pour comptabiliser le nombre de bacheliers kanak, chaque année, il suffit de cocher les noms à consonance kanak sur la liste des admis aux différents examens.

Cet exercice périlleux ne permet pas de montrer la réalité scolaire posée par l’école calédonienne notamment à travers le questionnement que doit se poser le citoyen calédonien pour savoir s’il réussi mieux aujourd’hui comparé à ses concitoyens des années 88.

Le constat des années 88 est que, statistiquement les jeunes kanak réussissaient moins bien que les autres ethnies dans les études et aux examens. Etant les plus nombreux, ils souffraient en général d’un manque de qualification professionnelle, aggravé d’une sortie en échec du système scolaire.

Dans la revue Pourquoi pas ? septembre 1991, B. CITRE et J. STREETER dans une analyse des principales causes du problème des jeunes, ont comparé la réussite des élèves kanak à celle des européens. Ils notent qu’en 1982 sur une population d’élèves admis en sixième, on dénombre 1090 européens et 1190 kanak, soit 100 kanak de plus. Dans la meilleure hypothèse c’est-à-dire sans redoublement nous ne retrouvons plus en 1985 en troisième que 594 kanak pour 704 européens. Logiquement ces élèves devraient se trouver en Terminale en 1988 et là il ne reste plus que 197 kanak dont 71 reçus au bac (36%) pour 478 européens dont 339 reçus (70%). Globalement sur une population de 675 élèves (kanak et européens) candidats au bac d’enseignement général, le taux de réussite des kanak reste très faible puisqu’il est de 10% contre 50% d’européens.

Selon les auteurs, l’échec des kanak est aussi constaté dans l’enseignement professionnel où on dénombre des taux de réussite très inférieure des kanak comparé à la population européenne. Ainsi, 41% de kanak contre 69,9% d’européens réussissent le CAP, 35% contre 73,8% pour le BEP et 71,8% contre 88,9% pour le CAP polyvalent.

En 2003, d’après un décompte fastidieux on dénombre en série générale du bac 150 kanak admis sur un total de 635 reçus, toutes ethnies confondues, soit 23,6%. Alors que dans la série technologique on dénombre 251 kanak admis sur un total de 640 reçus soit 39,1%. Enfin, au bac professionnel on compte 230 kanak admis sur un total de 470 reçus soit 49%.

 

Le constat des années 88 est-il toujours d’actualité ? Les données officieuses de ces dernières années semblent le contredire. En effet, le taux de réussite des kanak aux examens du bac, toutes séries confondues, dépasse d’une vingtaine de points celui des années 80. En 2003, on compte 630 bacheliers kanak sur 1745 admis soit 36% contre 10% de l’année 1988.

 

Nous sommes, bien évidemment, tentés de dire qu’il y a bien eu une très forte augmentation du taux de réussite des kanak au bac puisque les chiffres nous démontrent. Par contre, la prudence devra être de mise afin d’éviter de tomber dans le piège que nous exhibe les chiffres. Car ce qui doit nous interroger et sur laquelle doit porter notre analyse concerne la signification de la différence de 26 points du taux de réussite entre l’année 88 et l’année 2003.

En d’autres termes, que représente 630 bacheliers kanak sur 1745 bacheliers en 2003 par rapport aux 71 kanak reçus sur 675 bacheliers en 1988 ? là encore, les statistiques nous manquent pour spécifier au mieux la signification de cette différence.

Néanmoins, un certains nombres de paramètres environnementaux sont à prendre en compte dans notre comparaison sur les taux de réussite au bac en 1988 et en 2003.

D’abord les contextes sociaux et politiques de ces deux années sont différents pour ne pas dire paradoxaux : 1988 c’est l’année des événements politiques ayant plongé le pays dans la violence. Les conditions de préparation aux examens n’étaient pas favorables pour que la réussite soit effective. Alors que l’année 2003 connaît une stabilité politique et économique favorable sur tous les plans notamment en matière de préparation aux examens.

Ensuite les contextes infrastructurels entre ces deux années sont incomparables. C’est carrément le jour et la nuit. Les constructions de collèges et de lycées ont doublé et même triplé depuis 1988. Les lycées qui étaient, en 1988, concentrés à Nouméa sont aujourd’hui implantés dans les provinces Nord et Îles, ainsi que dans les communes limitrophes de Nouméa (Dumbéa, Païta et Mont-dore).

Enfin les possibilités de filières proposées aux examens du bac donnent plus de choix aux lycéens de 2003 par rapport à ceux de 1988. En effet, il y a une quinzaine d’année, on ne comptabilisait au bac que les filières générales et technologiques, car le bac professionnel n’existait pas encore.

 

On pressent, certainement, l’effet des investissements réalisés depuis la signature des accords de Matignon. On mesure, incontestablement, les moyens d’accompagnement mis en place pour favoriser la réussite scolaire des enfants issus des couches sociales défavorisés : aide scolaire subventionnée par les collectivités locales, implication des associations des parents d’élèves dans le suivi scolaire, etc.

Autant de données permettant de justifier les progrès constatés sur la réussite aux examens de ces dernières années et plus particulièrement en ce qui concerne l’obtention d’une mention par 14 kanak en 2003.

A partir des résultats encourageants des crues aux examens pour les kanak, oserions-nous déjà crier victoire ? Certainement pas, car au-delà des chiffres, il faut bien garder à l’esprit que beaucoup de kanak bacheliers sont actuellement en situation de chômage.

Se pose donc inévitablement (encore) la question de la finalité de l’école calédonienne. Faut-il une école qui prépare aux examens1 et aux concours ou une école au service de l’homme, acteur d’un développement durable pour un pays en devenir ?

Pour y répondre, nous ferons une analyse en trois parties. D’abord par une compréhension de l’héritage historique et culturel de l’école calédonienne, ensuite par la prise en compte des différences dans la manière de véhiculer les savoirs scolaires et enfin par un questionnement du système scolaire actuel pour permettre la construction d’une école véritablement calédonienne.

 

I. Héritage historique et culturel de l’école calédonienne.

 

Dans son livre sur l’échec scolaire calédonien, édition l’Harmattan 1999, H. MOKADDEM affirme que « il est probable que la genèse de l’échec scolaire est historique. La complexité de l’échec scolaire reproduit ainsi la complexité historique de ce pays. Il y a une histoire politique de l’échec scolaire qui est en parallèle avec la croissance économique et une reproduction inégalitaire des richesses (…) l’échec scolaire nécessite que la société décide de régler au plus vite la question de la scolarité (…) l’échec scolaire est l’échec d’une société qui ne sait pas poser le problème en terme clairs. »

Tout en partageant ce point de vue, nous rajoutons par ailleurs que l’école calédonienne s’est construite à partir d’un héritage historique et culturel en déphasage par rapport aux réalités culturelles calédoniennes, notamment kanak et océaniennes.

Cet héritage historique et culturel prend sa source dans les fondements de l’école française dont le rôle consiste à véhiculer des valeurs et des modèles contribuant par conséquent à éduquer le peuple en fonction des besoins matériels et idéologiques de la société qu’elle représente.

François GUIZOT, premier commissaire à l’instruction publique et ministre de l’intérieur sous Louis Philippe (1833), définit ainsi la finalité éducative de l’Etat centralisateur qui, dans un souci d’unification de la nation française, doit utiliser l’école pour réguler le fonctionnement de la société (…) le diriger parce que l’éducation ne saurait être livrée « au hasard » et que l’école doit se référer à des doctrines conformes aux besoins de la société.

Par conséquent, l’empire puis les républiques ont beaucoup contribué dans le renforcement des objectifs généraux de l’éducation française en donnant à l’école un rôle centralisateur. C’est ainsi qu’elle participera dans un processus d’intégration des minorités socioculturelles par la généralisation de l’usage de la langue (le français au détriment d’autres langues comme l’occitan, le corse, le basque, le breton, etc.) et la diffusion de la culture nationale, piliers de l’identité française.

 

En Nouvelle-calédonie, pendant près d’un siècle, de 1853 à l’après guerre, ce sont les missionnaires catholiques et protestants qui se sont occupés à former les kanak. Cela dans le but de les christianiser avec au préalable la nécessité de les civiliser c’est-à-dire leur apprendre à lire, à comprendre le français et à écrire pour en faire des auxiliaires des églises.

Il faut attendre 1957 pour que l’accès à l’enseignement secondaire soit autorisé aux kanak suite à l’entrée de ces derniers dans la vie politique et à la mise en place du statut d’autonomie avec la loi cadre Deferre.

Du point de vue des programmes d’enseignement, l’école calédonienne applique les instructions officielles élaborées en métropole et qui héritent d’un long passé à travers lequel elle a contribué à façonner l’identité nationale en érodant progressivement les régionalismes par assimilation des enfants des minorités socioculturelles à la culture dominante.

En effet, L'État définit les orientations pédagogiques et les programmes d'enseignement. Les établissements privés sous contrat doivent respecter les programmes de l'enseignement public

Mais le caractère historique, puis obligatoire de la scolarité venant renforcer une exigence d’unification centralisatrice de la culture par l’école, entraîne par conséquent des effets de déculturation, notamment au niveau des communautés kanak et océanienne.

C’est le constat que font CITRE et STREETER, pour qui l’enseignement dispensé à l’école favorise la compétition et l’individualisme ce qui déstabilise la société traditionnelle kanak où l’important n’est pas d’être le premier ou le meilleur mais plutôt d’être en harmonie avec le groupe.

 

II. Place des différences culturelles dans l’école.

 

La question de la culture est posée, partout. Qu'est ce que la culture ? De quoi parle t-on ? La culture fait-elle clôture ? Ce qu'on ne comprend pas de l'autre nous fait poser des questions. Ça vient peut-être de sa culture?

En fait, la communication entre les différentes communautés consiste à construire des passerelles. L'école y joue un rôle central depuis sa création en Nouvelle-Calédonie au point même de considérer, comme le souligne A. BENSA, directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, que la culture kanak serait le produit de l'école: Ordre social spécifique bouleversé, réorganisé, chefferie reconstituée, etc.

C'est que l'école a produit de nouvelles compétences (pasteurs, moniteurs, etc.) parce qu'elle a un projet de former des personnes qui iront travailler partout, c'est-à-dire des citoyens imprégnés du sentiment national. Pour ce faire, son rôle consiste à transmettre des savoirs universels ou nationaux.

Par contre, les communautés kanak ont maintenu un système de reproduction de l'état de leur société par les mariages, les cérémonies de deuil, les pratiques d'adoption, etc. En outre, elles ont développées des savoirs codifiés qui sont transmis de génération en génération mais qui sont difficilement partageables.

 

Dès lors se pose la question suivante: Est-ce que les savoirs locaux peuvent entrer dans l'école ? Si la réponse est OUI, alors peut-on les transformer ?

 

Le centre culturel Tjibaou est une réinterprétation des savoirs locaux dans une perspective universelle. Il s'agit de faire un travail d'ouverture et d'intégrer les savoirs locaux pour permettre le rééquilibrage entre savoirs locaux et savoirs de l'école.

L'école est une machine à transformer et on ne peut pas concevoir le projet de l'école sans penser au projet de transformer.

Se pose donc la question de l'apprentissage. Les apprentissages se font à partir d'expériences diversifiées (par le cumul d'expériences). Tout peut s'apprendre lorsque les conditions le permettent (écoles, routes, etc.). L'enfant kanak peut aller loin dans l'apprentissage. Si les choses peuvent s'apprendre, qu'est ce que la culture ?

 

Nous entendons par culture tout complexe, qui inclut les connaissances, les croyances, l’art, la morale, le droit, les coutumes et toutes autres capacités et habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société.

Cette conception de la culture date du XIX eme siècle mais pose la question de l’universalité affichée des valeurs culturelles occidentales que véhicule l’école.

Claude Lévi-Strauss souligne la difficulté de conjuguer la culture au singulier et au pluriel. Les recherches anthropologiques mettent en évidence la singularité des cultures à partir des fondements de la vie sociale (mythes, rituels, croyances, …) et de l’organisation sociale (parenté, pouvoir, économie, …).

D’autres recherches en sciences humaines (psychologues, sociologues, linguistes, sémioticiens, …) mettent en évidence l’importance des signes. Nous sommes submergés dans un monde de signes. Chaque culture interprète d’une manière singulière les signes pour en construire un sens. Dans la culture arabo-musulmane, la photo d’un visage non voilé d’une femme souffrante constitue une honte, alors que dans le monde occidentale elle signe l’existence d’une souffrance intérieure (voir aussi les systèmes de portage des bébés, les modes d’accession à l’âge adulte des adolescents etc.)

 

La rencontre de l’enfant kanak avec la culture de l’école se manifeste par un conflit difficile à résoudre et qui se pose en termes de choix et de dimension identitaire : abandonner ses références, muter, assimiler d’autres modèles. A l’école, l’enfant kanak est confronté à un autre système de référence, une manière de se comporter, de structurer le réel, d’utiliser signes et codes sociaux en relation avec une histoire, des discours, des objets et des expériences qui lui sont inconnues.

Car l’école n’est pas culturellement neutre. Même avec des aménagements, elle continue à véhiculer les valeurs de la culture occidentale. Elle positionne le kanak dans une situation « d’immigré dans son propre pays ». Et à défaut d’adaptation des programmes scolaires, on propose des méthodes pédagogiques fondées sur l’interculturel pour réduire l’échec scolaire des élèves culturellement différents comme c’est le cas des immigrés en métropole.

Interrogeons nous sur le cas des immigrés.

Dans un cadre culturel précis (culture d’origine) s’élabore un psychisme. Lorsque l’individu émigre vers un autre pays, il quitte nécessairement le cadre d’origine pour s’installer dans le pays d’accueil. C’est donc dans un nouveau cadre que s’exprimera à nouveau son psychisme.

Se pose alors la question de la conservation de l’identité psychique dans un cadre culturel étranger. Le rapport entre psychisme et culture est extrêmement fort. Le psychisme c’est la culture intériorisée et la culture c’est du psychisme objectivé sous une forme non psychique.

Il est constaté que la culture des immigrés n’est pas exactement celle d’origine, ni celle du pays d’installation. Il y a émergence d’une nouvelle culture avec ses éléments culturels originaux, c’est-à-dire ceux qui ont été remaniés.

Selon Sayad : « La situation de l’immigration, on ne sait pas s’il s’agit d’un état provisoire et qu’on se plaît à reproduire pleinement ou un état définitif qu’on se plaît à vivre provisoirement »

 

La nouvelle culture (représentée métaphoriquement par une idée fausse que les immigrés sont coincés entre deux cultures ou sont assis entre deux chaises) est instable car elle doit rechercher un équilibre du fait de l’évolution rapide des cultures (du pays d’origine et du pays d’installation).

Cette nouvelle culture va jouer un rôle très important au niveau de la jeune génération et surtout au niveau des adolescents. La nouvelle génération va se sentir être du pays où elle est née sans poser de questions sur le problème du passage d’une culture à l’autre.

C’est dans ce contexte culturel de l’entre-deux que se construit l’identité des adolescents issus des familles migrantes, notamment en relation avec les processus d’identification (rechercher la similitude avec l’autre, le groupe, …) de continuité (sentiment de se percevoir d’être la même personne dans le temps) d’unicité (se percevoir comme étant un être unique) d’identisation (chercher à se distinguer, à se différencier par rapport à autrui) de cohérence avec soi-même et de valorisation.

 

Le cas « d’immigré dans son propre pays » si ce n’est pas dans sa propre tribu, a longtemps préoccupé les auteurs kanak qui déplorent, à la suite de CITRE et STREETER, le fait que les jeunes ont perdu les connaissances professionnelles traditionnelles qu’ils n’ont pu acquérir du fait de leur scolarité et se trouvent mal à l’aise face aux autres jeunes qui ont quitté l’école assez tôt et qui sont restés à la tribu. Ce n’est pas qu’ils ne veuillent pas travailler, mais c’est tout simplement qu’ils ont honte de ne pas pouvoir se réaliser pleinement et d’avouer leurs lacunes dans leur propre culture.

 

Toute tentative d’adaptation de l’école aux réalités culturelles de la société calédonienne constitue un grand chantier à mettre en œuvre. Cela est possible à partir du moment où l’on s'engage à faire une analyse du système éducatif actuel.

 

 

III. Le système éducatif actuel.

 

Le système éducatif actuel favorise le corporatisme sans qu’il en soit directement responsable de la situation.

Toute incursion dans le domaine de l’éducation devient une entreprise périlleuse et téméraire. La moindre question, si naïve soit-elle, y déclenche la fureur et les salves, qu’ils s’agissent des rythmes scolaires, des allègements des programmes, des réformes plus fondamentales (latin, philosophie, enseignement des langues, etc.), des méthodes d’enseignement (didactique des sciences / sciences de l’éducation, déterminants sociologiques et psychologiques / politiques de gestion, d’économie, de budget, de prévision).

Le système éducatif nourrit en son sein une multitude de conflits, qui n’opposent pas deux camps mais plusieurs. Pourtant, tout le monde prétend défendre le système éducatif (l’école) et sauver les diplômes qu’il dispense.

Les conflits à l’intérieur du système éducatif sont des conflits de corporations ou de bureaucraties professionnelles. Selon H. MINTZBERG, 1982, structure et dynamique des organisations, paris, éditions d’organisation, « une bureaucratie professionnelle est une organisation (entreprise, administration, etc.) qui coordonne ses activités par la standardisation (très réglementée) des qualifications et des compétences. Tout poste opérationnel ne peut être occupé que par une personne qui possède ces qualifications et chaque opérateur connaît (et se fie à) la qualification des autres. »

Le système éducatif demeure donc le champ de bataille des conflits de corporations dont les diplômes constituent l’enjeu central. Il existe une pluralité de diplômes et chaque corporation a les siens.

Le système éducatif contribue à satisfaire les intérêts d’une société corporatiste. C’est un système qui fabrique des individus dociles et conformistes, plus attentifs à la lettre qu’à l’esprit des choses, à la forme qu’au fond, à ce qui existe qu’à ce qui pourrait être ; autrement dit, de parfaits corporatistes et fonctionnaires sans états d’âmes, à commencer par les enseignants eux-mêmes.

 

Il y parvient parce qu’il repose sur trois grands piliers : 1).le primat des connaissances explicites, 2). le primat du travail solitaire et de la compétition interindividuelle, 3). le primat de l’hétéro - évaluation sommative.

 

Selon NONAKA et TAKEUCHI, la connaissance créatrice, la dynamique de l’entreprise apprenante, Bruxelles / Paris, De Boeck université, 1997, « occidentaux et extrême orientaux ont des conceptions profondément différentes de la connaissance. Les occidentaux privilégient la connaissance explicite et directement transmissible, autrement dit, des connaissances qui s’appuient directement sur le langage et les systèmes formels. Les extrêmes orientaux estiment que la connaissance commence par l’implicite et le ressenti et qu’elle peut être échangée hors des mots. Les connaissances implicites sont constituées, d’une part, d’expériences et des savoir-faire et, d’autre part, d’intuition ou de croyances. »

 

Le système éducatif va exacerber les effets pervers du primat de l’explicite dans les deux autres piliers.

Concernant le primat du travail solitaire et de la compétition interindividuelle, le système éducatif français se caractérise par la compétition dans la solitude.

 

Concernant le primat de l’hétéro - évaluation sommative, la notation est un avatar de la révolution Française. Napoléon instaure la notation tant dans les examens et concours qu’au long du cursus des études. L’élitisme républicain est né.

Il est important de noter qu’il existe des systèmes éducatifs qui disposent de puissants moyens pour contrebalancer la notation scolaire. Par exemple l’alternance école / entreprise en Allemagne (la rude expérience du terrain modère l’ivresse des résultats scolaires). Il y a aussi la prépondérance des travaux de recherche sur les épreuves sur table en Angleterre et aux Etats-Unis.

 

Conséquences :

 

  1. Les élèves resteront passifs et démotivés aussi longtemps qu’ils seront assujettis à un système qui valorise tant le langage et les systèmes formels (primat de la transmission de connaissances abstraites, de la manipulation de règles quasi linguistiques) que le travail solitaire (synonyme de compétition interpersonnelle) et l’hétéro évaluation sommative.

  2. Dans ce système, les diplômes sanctionnent moins la créativité et le dynamisme que la soumission, le conformisme et l’imitation.

  3. Ces diplômes constituent la charpente d’une organisation sociale corporatiste, en légitimant tant les frontières et territoires fictifs des bureaucraties professionnelles que l’arbitraire de leurs échelles hiérarchiques.

 

Cette organisation s’effondrerait sans doute si ces diplômes sanctionnaient au contraire le degré d’autonomie individuelle et de confiance en autrui.

Mais il reste à concevoir un système éducatif qui privilégie ces objectifs.

 

 

 

IV. Pour une école au service de l’homme, acteur d'un développement durable pour un pays en devenir.

 

Il s’agit de penser le système éducatif comme outil d’épanouissement de la personne, celle qui deviendra à son tour acteur du développement dans un pays en devenir. Pari irréaliste diront certains, préjugés idéologiques diront d’autres. Quoi qu’il en soit, nous soutenons l’idée que c’est nécessairement par le changement du système éducatif actuel que la société calédonienne parviendra à affronter et surmonter les défis du développement économique qui se dresseront devant elle dans l’avenir.

Beaucoup de pays d’Afrique n’ont pas su s’y prendre à temps, justement parce qu’ils n’ont pas eu le réflexe de problématiser leur système éducatif, avant et après l’accession à la pleine souveraineté.

BAKOU, Et si l’Afrique refusait le développement ? et D. ETOUNGA MANGUELLE, Faut-il un ajustement structurel pour l’Afrique ?, tous les deux économistes camerounais soutiennent dans leurs ouvrages respectifs que si l’Afrique s’avère incapable de se développer ce n’est pas uniquement du fait de la dette, des échanges inégaux, de la faiblesse de l’aide, etc. mais à cause des Africains eux-mêmes.

Les africains se comportent à l’égard de la modernité comme des assistés. Refusant de prendre en charge leur propre destinée, ils attendent de l’occident que celle-ci organise le développement à leur place.

Car si les africains, eux-mêmes n'ont pas su se protéger contre les effets d'une économie qu'ils ne maîtrisent pas complètement c'est bien à cause (entre autres) d'une inadaptation des objectifs éducatifs d'un système politico-économique basé sur le profit individualiste.

 

Il s'agit donc, pour nous, en kanaky-calédonie de proposer un système éducatif dont les objectifs de formation prennent en considération la personne en tant qu'acteur du développement. Le but du système éducatif est de produire une personne actif dans le développement du pays, une personne participante (dans) et bénéficiaire de la croissance économique du pays.

Les objectifs du système éducatif doit répondre aux besoins du pays ce qui revient à dire que la personne produite par ce système devient inconditionnellement acteur d'un développement qui satisfasse les besoins du pays.

Se pose nécessairement la question de l'immigration et de l'emploi local. Car, le système politico-éducatif actuel entretien l'idée selon laquelle l'accès à l'emploi est conditionné par la qualification c'est-à-dire par les diplômes obtenus. Encore que pour accéder aux emplois de la fonction publique, il faut aussi passer par le biais des concours. Cela représente encore un avatar d'un système sélectif de l'administration coloniale hérité de l'époque napoléonienne, lequel marginalise encore plus les diplômés locaux au profit des expatriés.

Les expatriés trouvent facilement un emploi pour différentes raisons, notamment parce qu'ils ont été préparés et formaté par un système éducatif qui valorise la compétition, le travail solitaire et l'individualisme. Ces expatriés, exclus de leur société d'origine (France métropolitaine) du fait de la persistance du chômage viennent tenter leurs chances aux confins de l'empire colonial.

Les expatriés trouvent en Kanaky-Calédonie une opportunité pour se faire une nouvelle vie comme au temps de la conquête du nouveau monde par les occidentaux. Ici, il suffit de respecter la règle du "motus bouche cousu". Etant facilement maniable, ils sont les pions manipulés, à la fois par le pouvoir politique local que par les administrations d'Etat et provinciales.

Penser une école au service de l'homme, acteur d'un développement durable, revient à proposer une autre manière de concevoir le système éducatif dont les buts et objectifs consistent à former le citoyen du pays capable de concilier les facteurs de développement économique avec ceux du développement humain, culturel et social.

 

Conclusion:

 

Penser le développement au profit du citoyen du pays, c'est penser le système éducatif comme outil vectoriel de formation et d'éducation du citoyen.

 

Le développement n’est pas fondamentalement une théorie, mais une marche, un élan de l’humanité vers son bien-être. Jusqu’ici, cet élan reste inégal partout dans le monde, notamment en Kanaky Nouvelle-Calédonie où existent encore de très grandes disparités entre les revenus entre les différentes catégories sociales et une persistance aggravante de la pauvreté des ménages sans revenus. Car, l’accent mis sur les aspects économiques du développement laisse entièrement dans l’ombre l’importance des facteurs sociaux et culturels et spirituels.

Selon l’UNESCO, là où l’on avait vu jusqu’à maintenant que valorisation des ressources humaines en fonction de la seule croissance économique, il faudrait y voir une entreprise de valorisation humaine et culturelle ; là où l’on avait constaté qu’un transfert des techniques des centres vers les périphéries, il faudrait y affirmer la possibilité d’un échange de connaissances et des valeurs.

En clair, le développement ne se mesure pas essentiellement en termes économiques, et en termes de croissance du produit national brut (PNB). Le concept de développement doit comprendre les facteurs économiques et sociaux aussi bien que les valeurs morales et culturelles qui conditionnent l’épanouissement de l’être humain et de sa dignité dans la société. Le développement doit donc avoir pour objectif l’élévation du niveau de participation de chaque individu à la vie de la communauté.

Par ailleurs, il convient de prendre conscience de l’élément capital que constitue la dimension culturelle du développement. Non seulement, les peuples longtemps aliénés par une exploitation étrangère aspirent à retrouver, voire à recréer, leur identité nationale et ne peuvent travailler pleinement à leur développement que si celui-ci répond à cette aspiration fondamentale et à des besoins profondément ressentis, mais encore ils ne sauraient se développer authentiquement que s’ils trouvent en eux-mêmes, c’est-à-dire dans la culture qui leur est propre, les moyens de ce développement.

Ainsi, le développement ne saurait être l’imposition d’un modèle étranger ; il doit être conçu comme un processus autonome ou engendré de l’intérieur, par lequel une société choisit consciemment et librement le modèle de ce qu’elle entend devenir.

Mais le colonisé devra encore faire un effort de décentration (ou de décolonisation des mentalités) pour évacuer, de ses représentations mentales, la notion de « modèle de développement » au profit de celle de « style de développement ». Car il existe, en effet, non pas un modèle unique du développement, mais une multitude de voies possibles, de styles différents de développements. Et la société industrielle occidentale n’est plus un exemple à copier systématiquement sous prétexte qu’elle contribue à la modernisation d’un pays.

Car, la modernisation fait une large place à l’acculturation, aux changements de structures et d’institutions sociales, et de mentalités, portant un jugement négatif sur les traditions et les valeurs non occidentales comme étant des obstacles à la modernité.

Un style adéquat de développement, tout en rejetant la « modernisation » et ses théories, reste compatible avec l’idée de « modernité », qui signifie que chaque peuple doit vivre sa propre transformation et son propre changement social, selon ses aspirations et ses racines culturelles traditionnelles, par des innovations adaptées et évolutives selon les circonstances changeantes propres à son contexte et à ses aspirations.

 

Mais, il ne peut être possible, pour un peuple, de vivre sa propre transformation sociale que si celle-ci résulte d'un ensemble d'actions réfléchies, pensées dans le cadre d'un projet de société où le système éducatif demeure l'outil vectoriel de la formation et de l'éducation du citoyen.

 

Jean-Paul HELLOA

Décembre 2003 / janvier 2004

 

 

 

 

Bibliographie

 

B. CITRE et J. STREETER. Analyse des principales causes du problème des jeunes. Revue Pourquoi pas ? septembre 1991.

J-F DORTIER. La culture, moteur ou frein de la modernisation? Sciences humaines N° 23 décembre 1992.

J-P HELLOA. Réalités scolaires et difficultés d'apprentissages en milieu mélanésiens. ITFM, décembre 1992.

J-P HELLOA. L'échec scolaire néo-calédonien, une épine en matière économique du pays. Bulletin du réseau spécialisé de l'ASEE N° 4. Mars 2001.

H. MINTZBERG. Structure et dynamique des organisations, paris, éditions d’organisation. 1982.

Hamid MOKADDEM. L'échec scolaire calédonien, l'harmattan, 1999.

NONAKA et TAKEUCHI, la connaissance créatrice, la dynamique de l’entreprise apprenante, Bruxelles / Paris, De Boeck université, 1997.

 

 

 

 

1 Du collège au lycée, tout l’enseignement est destiné à la préparation du baccalauréat.